"Ecoute mon coeur"

      

 

     

    Au village les gens sont partagés. Ceux qui critiquent toujours tout disent que ces gens-là sont bizarres, que leurs gestes sont ridicules, qu’ils ont l’air débiles, qu’ils sont imprudents de laisser leur garçon aller au village à vélo, qu’un jour ou l’autre il va se faire écraser par une voiture. Et en plus on dira que c’est la faute de la voiture ! La boulangère, pas l’ancienne qui était si aimable et élégante, non, une nouvelle, habillée à la va comme je te pousse, grincheuse du matin au soir, celle-là l’a renvoyé sans le pain mercredi dernier, le petit, parce qu’il avait égaré sa liste de courses et qu’elle a refusé qu’il passe derrière le comptoir pour lui montrer ce qu’il voulait. Elle a dit qu’il allait toucher le pain avec le doigt et que c’était pas hygiénique. Je te lui ficherais des coups de pieds au derrière à cette ogresse, elle verrait si c’est hygiénique !

        L’autre jour, elle parlait avec le grand Poucat et ils disaient que « ces gens-là » il faudrait leur interdire de faire des enfants. Le coquin de sort m’a pris, je sentais que je devenais rouge, il fallait vite que je trouve mes petites pilules anti coup de cœur. Je les ai avalées, hop ! Le grand Poucat était parti et je n’ai rien dit, finalement.

        Je suis lâche. Je ne suis pas fier. Pourtant, à mon âge, qu’est-ce que je crains ? Si je dis ce que je pense et qu’on me casse la gueule, ce ne sera pas une grande perte. Bon, c’est décidé, mon vieux, à partir de maintenant je dis ce que je pense, tout ce que je pense ! J’en ai marre que ce soit toujours les minables qui parlent plus fort que les autres!