"Germaine Tillon, un combat pour la vie"

      

 

 

Harassées, affamées, terrorisées, sales, les déportées tombent malades, meurent du typhus. Les corps sont entassés dans la salle de bain de l’infirmerie. Germaine, qui a toujours été très solide, attrape la diphtérie, Anise la scarlatine. La prisonnière responsable de l’infirmerie, Hilda, une Tchèque, patronne de toutes les communistes, protége Kouri la résistante. Elle s’occupe aussi d’un adorable petit garçon juif de deux ans et demi. Toutes deux dorment dans un lit à étage, le petit garçon entre elles. Un matin le médecin examine le petit garçon avec douceur et dit : « Il est guéri, il peut partir à Auschwitz. » Il sait qu’il l’envoie à la mort. Et Germaine et Hilda aussi le savent.

Dans le camp, les enfants disparaissent vite, mais une petite russe, Stella, cachée, survivra.

Dès que Germaine va mieux, elle redevient ethnologue et interroge tout le monde. « Pourquoi es-tu là ? » « Qui as-tu vu mourir ? « Quels noms de SS connais-tu ? » Si elle ne peut demander à une jeune gardienne : « Comment peux-tu frapper au visage et tuer une femme qui pourrait être ta grand-mère ? », elle observe les structures du camp comme elle a étudié la société chaouïa et analyse le système concentrationnaire criminel. Elle enquête sur les revenus du camp et sur les bénéficiaires de ces revenus, parvient à évaluer combien coûte et combien rapporte un squelette ambulant qui travaille.


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Pour Germaine, la clochardisation est la conséquence logique de la colonisation. Car fonder une colonie c’est « Tout d’abord accaparer les terres, puis imposer à un peuple une civilisation étrangère, et enfin réserver des privilèges législatifs et administratifs aux colonisateurs, c’est à dire instaurer l’injustice. »

C’est ce qui s’est passé en Algérie, à partir du XIXe siècle. Les terres ont été prises aux Algériens et distribuées à des colons, riches ou pauvres. Pour protéger leurs intérêts, ceux-ci ont influencé les faibles gouvernements français qui ont, dès le début, appliqué une politique injuste.


En Algérie, en 1954, sur neuf habitants il y a huit Algériens et un Européen. La minorité a les droits de tout citoyen français alors que la majorité en est écartée. La population est composée ainsi : huit sujets de la France pour un citoyen français. Le principal privilège de la minorité est l’instruction. Un Musulman a cent fois moins de chances qu’un Européen d’avoir son bac. Un million six cent quatre vingt trois mille enfants algériens n’ont pas de place dans les écoles primaires de la République. Si à Alger deux enfants sur trois sont scolarisés, dans les campagnes ce chiffre tombe à un sur huit. L’Algérie vit une situation d’apartheid. Les administrations sont aux mains des Européens qui dirigent ce pays selon des lois bien différentes des lois françaises. En tant que Française, Germaine a honte de ce qu’elle découvre. Et cela ne fait que commencer !


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Cela fait plus d’un an que Germaine, comme beaucoup d’autres, sait que le colonialisme est mort, que le peuple algérien, comme d’autres peuples colonisés, deviendra indépendant, et que la guerre est inutile. Pour elle, avoir cette certitude et voir mourir des gens, jour après jour, pour rien, est affreux. Elle regrette qu’on n’apprenne pas aux militaires, ni aux politiques à reconnaître leurs torts. Les massacres continuent. Le fossé entre Algériens et Français s’élargit. Et cela déchire Germaine.

Pendant huit ans, elle restera fermement debout sur le ring où elle lutte pour la paix et la justice. En face d’elle : « les sœurs siamoises : méchanceté et bêtise » qui n’ont qu’un objectif : faire durer la guerre au lieu de préparer la paix. Malgré les coups qui la laisseront presque KO, elle combattra sans merci.