"Cher Azad"

      

 

      

CONTE DES PIEDS JOLIS

Haroun était un vieil homme lubrique. De ceux qui, leur vigueur faiblissant, ne prennent pas le parti de jouir de l'amitié, des arts et de la tiédeur des jours, mais s'accrochent au seul plaisir charnel, au point d'en être obsédés. Ce manque de sagesse peut mener les vieillards de cette espèce jusqu'au crime, chacun le sait. Tel ne fut pas le sort d'Haroun.

Certains, pour soutenir leur virilité fléchissante, dépensent toute leur fortune en achat de cantharides royales, de poudre de corne de rhinocéros, de nerf de cerf haché, de testicule de baleine confit, de mandragore marinée au jus de pendu ou autres raretés venues d'au-delà des mers. D'autres s'empoisonnent à ingurgiter des feuilles de marrube rissolées à la graisse de saule d'Égypte, de la férule persique mêlée au marc de résine de pin, saupoudrée de racine de nénuphar râpée. Pour les uns rien ne vaut le rhizome de galingale indienne pilé avec la fleur de girofle, pour les autres c'est la noix d'Abyssinie bouillie dans une eau d'aristoloche qui serait souveraine. La vieille femme riche a, en ce domaine, plus de chance, puisqu'il lui suffit d'acheter des garçons. Haroun lui, parcourait sans se lasser des milliers de lieues pour assister aux ventes aux enchères d'esclaves femelles dont il ne regardait que les pieds. Son sexe ne donnait signe de vie que lorsqu'il était pétri par deux pieds de femme, qu'il désirait toujours plus étroits. Sa recherche était sans fin.

Sa dernière amante était très jeune. Il l'avait découverte après plusieurs mois d'un voyage harassant. Elle n'était pas esclave mais ses parents, des nomades, la vendirent bien volontiers à Haroun après un marchandage assez bref. Que diable pouvaient-ils espérer faire de cette frêle jeune fille aux pieds minuscules sur les chemins caillouteux des monts du Hakkâri et du Babadag ? Dans leur tribu aucun gaillard normal ne se serait encombré d'elle. Quelle charge pouvait-elle porter sur son dos menu ? Quels enfants dans son ventre plat ? Oui ! Loué soit ce vieillard fou ! Qu'Allah l'ait en sa sainte garde, lui qui non seulement allait héberger et nourrir cette inutile, évitant ainsi à ses parents la peine de la pousser dans un précipice, mais en plus avait grassement payé pour cela ! Si les nomades n'avaient pas été décimés par des vagues successives d'armées en mal d'entraînement, ils en riraient encore.

La fine Alia ne parlait jamais. Les servantes d'Haroun qui avaient pour tâche de veiller à son agrément la pensaient muette. Ses yeux bridés semblaient toujours ailleurs. Chaque fois que son maître le désirait, elle s'installait sur un fauteuil doré venu de l'occident , placé près d'un sofa où il s'allongeait, et de ses pieds agiles elle caressait, malaxait, pressait, foulait son vieux sexe en relevant haut ses jupes sous lesquelles elle était nue. Farouche et maladroite au début, elle eut bientôt à cœur de perfectionner sa technique quand elle comprit que son maître ne lui demanderait jamais qu'un plaisir pédestre. Elle devint bien vite experte et réussit parfois à provoquer chez ce vieillard des érections quasi juvénile.