"Des diamants dans le foie gras"

Chapitre 1


Mardi 2 août

Cité des Capucines, bâtiment D : Héléna

L’année dernière, c’est à peu près à cette date que les Goodfellow ont organisé leur fête magnifique autour de Benjamin retrouvé. C’était tellement joyeux ! J'ai, fait un album de photos superbe nous les avons vus tout au long de l’année, les Goodfellow, nous avons fait du baby-sitting chacun à notre tour, sauf Mériem qui en fait chez elle tous les jours. Cette année encore, en mai, la grand-mère de Mériem est arrivée du bled et nous sommes allés la saluer. Elle a posé ses grandes mains décorées sur le front de chacun Et elle a plongé dans nos yeux son regard venu ailleurs. Elle a dit des phrases incompréhensibles. J’aime ça. Les Goodfellow ont été invités à manger le couscous du siècle chez les Messaoui.

Quand Jack et Leslie Goodfellow ont réalisé que nous tous, les Rebelles, sauf Julien, nous restions à la cité des Capucines pendant le mois d’août, ils nous ont proposé de venir passer trois semaines dans leur grande maison du Périgord. Tous les parents ont été d’accord, sauf les Messaoui. Et personne ne voulait partir sans Mériem. M.Goodfellow a présenté le séjour chez eux comme un stage de perfectionnement en anglais. Ils n’ont pas accepté. Alors Mme Goodfellow leur a rendu visite et leur a dit avec son bel accent : « Nous invitons avec plaisir Mériem et sa grand- mother. »

Bâtiment C : Mériem

Quand Leslie Goodfellow est venue inviter grand-mère, les parents étaient complètement sidérés. Ils ont dit : « Non, c’est impossible, la grand-mère doit rentrer au Maroc, elle a déjà dépassé le temps légal », mais j’ai vu qu’ils étaient touchés.

Le soir je suis allée dans la chambre de grand- mère, enfin, c’est ma chambre d’habitude, mais quand elle est là je dors dans le salon. Elle était raide sur son lit, dans le noir, mais à peine avais-je entrouvert la porte qu’elle m’a dit d’une voix calme : « Alors, ma petite ? Qu’est-ce que tu as à me demander ? » Et là j’ai craqué. Je n’en pouvais plus. J'étais dans un état incroyable, j’avais la figure qui me brûlait et je me suis mise à pleurer. J’étouffais. Elle m’a dit avec sa voix grave : «Viens te coucher près de moi. » Elle m’a entourée avec son bras et elle a dit : « Parle », et j’ai tout dit. C’était bizarre de dire dans notre langue des choses qui vont contre l’éducation que me donnent mes parents. Je lui ai dit que mes amis iraient en vacances chez les Goodfellow, et que moi... Moi je serais privée de cette chance de sortir d’ici, de découvrir la vie, et ça je ne pouvais pas le supporter. Pourquoi moi ? Parce que mes parents sont marocains ? C’est ça ? Mais les Goodfellow ils s’en fichent, ce sont mes parents eux-mêmes qui me punissent, qui pensent qu’à cause de mes origines je dois toujours être au-dessous des autres. Et ils font tout pour avoir raison.

Tout en disant : « A force de me garder enfermée ils vont me rendre bête », je pensais : « Tant pis si grand-mère ne comprend rien, si mes histoires de fille de France la dépassent totalement, elle, une femme du bled, qui a gardé les chèvres au lieu d’aller à l’école, d’ailleurs il n’y avait pas d’école... ». J’ai dit des choses que je n’avais jamais dites à personne(...). :




Chapitre 3



Jeudi 4 août



Les Rebelles remplissent les sacs à dos de fruits, de cuisses de poulet, de fromages et de pain et ils partent pour une journée de promenade dans les bois, à cueillir des fraises, à rire avec les Goodfellow, à chatouiller Benjamin, à découvrir des insectes que Jack connaît par leur nom latin, à remonter la rivière, à se pousser à l’eau, à explorer des ruines à moitié étouffées par les arbres, à faire des teintures en écrasant des feuilles sur les pierres, à chanter des chansons anglaises avec Leslie.

Le soir, grisés de soleil, de rires, de courses, ils pensent qu'ils vont s’endormir très vite, mais l’air est frais, Mériem et Frida se mettent à la fenêtre.


La nuit s’installe. Le silence est empli de frôlements, de bruissements minuscules. Tout à coup elles entendent une porte s’ouvrir, puis des pas sur le gravier devant la maison.

Tu entends ?

- Viens, on va voir.

Elles sortent toutes les deux. Elles voient le couple Goodfellow quitter la maison.

- On les suit un peu ?

- D’accord, chuchote Frida.

Maintenant elles ne voient plus que le faisceau de la grosse lampe torche des Goodfellow, assez loin devant.

- Ils vont vers le château par le chemin qui monte, on dirait.

Le chemin devient difficile. Dans les virages, elles ne voient plus la lumière, et puis, de nouveau elles la voient. Au bout d’un moment, après une côte, les Goodfellow s’immobilisent. La torche s’éteint.

Le temps passe. Elles écoutent les grillons, les bruits de la nuit et, au loin, vers la rivière, le chant assourdi des grenouilles. Elles frissonnent. Elles rebroussent chemin.


Les trois autres Rebelles surgissent de l’ombre.



Chapitre 5


Samedi 6 août


À la gare, ils ont accueilli un Mohand un peu vexé que son arrivée passe loin derrière l’extraor­dinaire affaire des bijoux.

Héléna n’a vu que lui à la descente du train. Les cheveux très courts, mais pas rasés (elle détesterait ça), et les yeux... surtout les yeux... Héléna 1 est fascinée : « Il est encore plus beau que dans mon souvenir. ». Mais Héléna 2 ordonne : « Il va falloir te maîtriser, ma vieille ! Merci les voleurs de bagues, je vais pouvoir penser à autre chose qu’à ce sale type qui n’a même pas jeté un œil sur mes épaules bronzées et... Stop ! »

Les Rebelles avaient prévu un repas somptueux de sel sur les tomates, le canard est presque cru et les patates un peu brûlées. Tout le monde pense à la même chose : le vol des bijoux. Qui ? Pourquoi ? Comment ? Tous se rappellent la collection de bijoux, la vieille dame si sympathique...

Mohand est songeur, il grignote machinalement une tranche de saucisson ; Mériem fond sur lui.

- Tu manges du porc !

Mériem est sans voix. Elle regarde Mohand comme un extraterrestre.

Héléna dit :

Dans les fauteuils, sur le tapis, buvant le thé à la menthe que leur a fait Mohand, les Rebelles se concentrent.

- Mais le fait que la duchesse et Mme Marguerite aient eu du mal à se réveiller hier matin, c’est suspect, non ?

- Tu penses à quoi ?

Mohand, complètement ailleurs, pris sous le charme d’une vision, regarde arriver quelqu’un qui ouvre la porte-fenêtre.




Chapitre 9

Mardi 9 août

Samedi 6 août


À midi trente, il y a quatorze personnes au restau bio. Pauline est aux cuisines, Jeanne prend les commandes et sert. À l'une des tables, un groupe parle fort en anglais, rit beaucoup et choisit les vins et les plats les plus chers. Ils ont fait ouvrir quatre bocaux de foie gras. Un géant moustachu, à la voix tonitruante, mange le foie gras à la cuillère dans le bocal même. Soudain on entend un beuglement.

Pauline sort précipitamment de sa cuisine et voit sa fille en train de taper sur le dos d’un homme rouge, les yeux exorbités, qui fait des bruits bizarres. Jeanne soulève le bonhomme, se place derrière lui et, de ses deux mains liées, lui donne un grand coup dans la poitrine, de bas en haut. L’homme crache ce qu’il avait en travers de la gorge. L’objet tinte en tombant dans l’assiette. Tout le monde entoure celui qui a failli s’étouffer. Bientôt il va mieux. Il serre la main de Jeanne avec de grands merci et avec son formidable accent américain, il dit d’une voix enrouée :

- Jeanne.

Sans quitter Jeanne des yeux, il prend entre ses doigts l’objet qui a failli causer sa perte.

Pauline se saisit de l’objet, le nettoie dans la grande serviette. C’est une bague en or surmontée d’une pierre noire, entourée de quatre minus­cules pierres rouges.

Une Américaine, couverte elle-même de bijoux, la prend, la fait tourner dans la lumière.

- Ce n’est pas du verre. Diamant noir. Très pur. Quatre rubis de la plus haute qualité. Monture Art nouveau.

Pauline et Jeanne se regardent, abasourdies. Alors, à la table voisine, un homme en casquette et bermuda se lève en faisant tomber sa chaise et dit :

Personne ne lui répond tandis que l’homme en bermuda sort en disant :

- Je vais chercher un endroit où il y a du réseau.

C’est en plein milieu d’une partie endiablée de Uno que Mohand surgit dans la salle commune et crie :