"Les enfants d'Icibas"

      

 

      

Il s’approcha, toucha le câble métallique. Il parvenait à peine à refermer sa main autour. Cela n’avait rien à voir avec les cordes que les femmes fabriquaient. Ces cordes souples, faites de lambeaux de Textipap tressés, étaient utilisées par les ceuxqui-empilent-les-sacs-noirs pour réparer et bâtir sans répit leur ville souterraine. C’était amusant d’agripper une corde et de grimper sur les parois. Il fallait simplement ne pas se faire attraper par un ceuqui-empile, parce qu’il vous jetait en bas aussitôt et vous piétinait.

Il accrocha ses mains très haut et serra les jambes autour du câble. Au moment où il se hissait, une douleur le fit crier. Il tomba par terre. Près du genou, quelque chose s’était enfoncé profondément dans sa chair. Un bout de ferraille, qu’il arracha en serrant les dents. La douleur le fit frissonner des pieds à la tête. Le sang coulait. Il mit sa main sur la plaie et partit.

Le lendemain son genou était gonflé, brûlant. Ses lèvres étaient sèches et son bidon d’eau aux trois quarts vide. Il but et se rendormit. Dans son rêve, il vit Mayou avec une tête énorme, qui le tenait par son couvre-corps au dessus des cuves où bouillait le Textipap. L’étoffe se déchirait. Il n’était plus retenu que par un fil. Il allait tomber. Mayou riait au-dessus de lui. La chaleur était suffocante. Niels cria.

Quand il se réveilla, il ne reconnaissait plus son antre. Les parois étaient bombées, le plafond descendait lentement sur lui. Niels grelottait, il avait l’impression d’avoir la bouche pleine de poussière. Il tendit la main vers le bidon, mais son bras était interminable et tout tordu. Il renversa l’eau qui restait. Un éclair de lucidité lui fit réaliser qu’il ne pouvait plus bouger, qu’il n’avait plus rien à boire ni à manger et que personne ne viendrait le secourir. Et il replongea dans l’inconscience.

Il délirait. Il avait l’impression qu’il allait laisser là son corps et que son esprit allait s’envoler comme la chose fine et fragile sur laquelle s’ouvrait un œil noir. Parfois il voyait sa mère penchée sur lui qui remuait les lèvres, mais il ne pouvait entendre ce qu’elle disait. Il voulait toucher son visage, mais ses contours s’effilochaient comme les vapeurs des fours.

Tout à coup il sentit une main fraîche sur son front.

Il voulut dire : « Qu’est-ce que tu fais là ? » mais sa voix était partie. Chami, la petite boiteuse, lui soulevait la tête. Il sentit l’eau couler entre ses lèvres craquelées. Il sentit ses doigts frais sur son genou. Il eut encore la force de sursauter et de gémir quand elle appuya. Elle revint à sa tête. « Niels, tu m’entends ? Je vais chercher pour te guérir. Je reviens. » Il voulut dire : « Non, ne pars pas » mais n’en eut pas la force. Il avait chaud. Il tomba dans un étrange sommeil et se réveilla plusieurs fois. Il entendait des gémissements et comprit que c’était sa propre voix qui se plaignait. Il pensait qu’il ne supporterait pas un moment de plus la douleur qu’il avait au genou, lorsque Chami revint.